Liban. Israël. Une histoire dans l'Histoire
Alors que le premier Ministre israélien Ehud Olmert se débat dans les suites de la guerre de juillet 2006 entre son pays et le Liban, m'est revenu en mémoire un témoignage que j'avais recueilli pour le magazine israélien Expression, il y a quelques années. Une histoire qui finit bien et qu'en ces temps difficiles pour l'humanité j'ai souhaité remettre en lumière aujourd'hui.
Cela pourrait débuter par "Il était une fois". En 1952, au foyer des Levy, famille aisée de Beyrouth, naissaient des jumelles, Micheline et May. En ce temps-là, le Liban était prospère et la petite communauté juive vivait en parfaite harmonie avec ses voisins musulmans, chrétiens et druzes. Ce fut tout naturellement une nurse chrétienne libanaise, âgée d'une trentaine d'années, qui vint seconder Madame Levy et prendre soin des bébés. Eva Abdel Karim, que les jumelles surnommèrent Dada, devint vite indispensable, et dès la petite enfance, un lien indéfectible se noua entre elles. Au foyer des Levy, la langue commune était l'arabe, avec Dada et le français entre les parents et les enfants. Dada, chrétienne, allait à l'église tous les dimanche et la semaine respectait les règles de vie chez les Levy, juifs traditionnalistes.
Cette histoire simple de peuples qui se respectaient vole en éclats en 1967, avec la guerre. La plupart des juifs quittèrent le Liban. Les Levy partirent au Canada accompagnés de Dada. Leur but était d'émigrer en Israël, mais il leur fut impossible d'obtenir un permis pour Dada. Comme il n'était pas question de l'abandonner, ils revinrent au Liban. Leur vie repris, émaillée de tensions. Désormais, l'harmonie entre les habitants était brisée. En 1971, Mr Levy meurt d'une crise cardiaque, trois semaines plus tard, son épouse est à son tour emportée par la maladie.
Les oncles et tantes de Micheline et May, âgées de 19 ans, décident pour elles de leur faire quitter le pays. Leur dernière image du Liban fut celle de Dada, accrochée au balcon de leur maison, hurlant en les voyants'éloigner. Le Liban étant en guerre avec Israël, c'est depuis la Belgique, après une longue attente, qu'elles obtiennent leurs visas d'immigration.
Leur première étape en Israël les mena au Kibboutz Dan Shmouel, avec dans leurs bagages l'adresse d'une tante qui devait les héberger. Le jour où elles arrivent chez cette tante, celle-ci vient juste de mourir. Elles se retrouvent livrées à elles-mêmes, sans famille et sans Dada, avec laquelle cependant des liens épistolaires sont maintenus. En 1972, Dada obtient enfin un laissez-passer d'un mois. Après un périple mouvementé par la Syrie, la Jordanie et le pont Allenby, ultime frontière entre ses petites et elle, elles peuvent enfin se retrouver. Mais il lui faut repartir. La situation à Beyrouth se dégrade. Micheline et May perdent le contact avec Dada pendant 10 ans. Une cousine de Dada, habitant Bethléem, maintenait un fil ténu entre eles, donnant parfois des nouvelles aux unes et aux autres. Entre temps, Micheline et May, qui se sont mariées, s'installent à Shkhania, un moshav à 11km de Carmiel. Elles créent un restaurant de spécialités libanaises.
Quand la guerre éclate à nouveau au Liban en juin 1982, inquiètes pour la vie de leur nounou, elles se décident à contacter le journaliste Ehud Yeari, chargé à la télévision israélienne des reportages sur le Liban. Il promet de les aider à retrouver Dada. Le miracle arrive, en 1986! Dada obtient un visa de 2 semaines. Lors de ce séjour, elle décide de ne plus rentrer au Liban. Alors les appels et les visites au Ministère de l'Intérieur et de la Défense se multiplient. Chaque mois, pendant 5 ans, Dada, entrée avec un visa de touriste non juif, en obtient le renouvellement, avec au coeur l'angoisse que le mois d'après cela lui soit refusé. Les jumellesvont déplacer des montagnes pour garder avec elles Dada. Elles interpellent en public des ministres, des députés, racontant inlassablement leur histoire.
Puis le dénouement arrive, sous la forme d'une simple lettre, envoyée au nom d'Eva Abdel Karim à Shkhania. A l'intérieur se trouvait sa carte d'identité israélienne. Depuis Dada et les jumelles ne se sont plus quittées. A l'époque où je les ai rencontrées, la petite entrprise "Aux Délices des Jumelles" était devenue une adresse connue, depuis qu'elles avaient fait la Une des médias. De tout Israël, des personnes venaient les entendre raconter leur belle histoire. Parfois Dada sortait de sa cuisine pour venir exprimer son bonheur d'avoir obtenu le droit de demeurer, elle, la libanaise chrétienne, avec ses "filles" en terre d'Israël.
J'ai perdu le contact depuis quelques années, mais je garde en mémoire le sourire lumineux de ces trois femmes qui, refusant la fatalité, par amour, avaient réussi à briser toutes les frontières...