Parabole sur le visible et l'imaginé
Premier jour de l'année 2007. A vous tous, que je connais ou que j'imagine, j'ai un message, en forme de voeu à vous transmettre: "N'attendez-pas demain pour agir, aimer, projeter, espérer. N'attendez pas pour vous réconcilier, lorsque c'est possible, avec quelqu'un dont vous vous êtes éloignés. Essayez de vivre aujourd'hui comme une promesse de petits bonheurs à engranger. Demain n'est encore qu'en gestation. Hier a cédé sa place."
Une amie très chère , Catherine Ruth Gross, qui était présence, énergie et partage, est partie samedi soir rejoindre les trop nombreux anges qui peuplent le territoire de mes absents. C'est parce qu'elle avait aimé ce texte et que je me sens incapable aujourd'hui d'écrire quelque chose qui ne me semble pas dérisoire que je le publie ici, en avant-première de sa parution prochaine dans le catalogue de présentation des Ecrivains de la Région Rhône-Alpes LES AMANTS DE LA CATHEDRALE SAINT JEAN
C’était un rituel… Il arrivait toujours le premier. Dès que le sacristain ouvrait la porte latérale de la cathédrale, il s’engouffrait derrière lui. Personne ne lui prêtait attention. Il pouvait alors l’attendre, délicieusement l’attendre. Elle, elle prenait ses aises. Il ne savait jamais quand, ni d’où, il la verrait surgir, majestueuse et délicate.
Ce matin-là, le vieil homme qui arrangeait les fleurs devant l’autel était en retard. Depuis si longtemps qu’ils se croisaient au détour de la crypte, juste derrière l’orgue où lui se cachait, ils avaient fini par devenir amis. Il ne les avait jamais chassés, elle et lui, comme les autres le faisaient toujours. Il lui arrivait même de leur offrir quelque victuaille qu’il sortait comme par magie de la niche aménagée derrière la statue de Marie.
Il le chercha longtemps, un peu parce que son estomac revendiquait violemment, beaucoup par ennui. Le temps s’étirait paresseusement, elle non plus n’arrivait pas. Des grappes de visiteurs commençaient à envahir les travées, dérangeant sa ballade de plus en plus fiévreuse. Quelqu’un accordait l’orgue et cela, ce son-là, lui déchirait les tympans. Rien n’était douceur et harmonie ce jour-là. Elle n’arrivait pas.
Réfugié dans la Chapelle Sainte-Thérèse, il la vit enfin et son cœur s’emplit d’allégresse. Elle, c’était elle, son unique, vive et souple, louvoyant entre les promeneurs qui ne la voyaient pas. Elle avançait, de sa démarche inimitable, jusqu’au seuil de la Manécanterie. Elle semblait inquiète, il aurait voulu l’appeler, la rassurer, mais elle était encore trop loin. Il lui fallait la laisser suivre son instinct. Ils se connaissaient si bien qu’il pouvait deviner, à sa façon de pencher la tête, qu’elle essayait d’entrer en contact avec lui. Sur son prie-dieu, il était presque insoupçonnable à tout autre qu’elle. Renonçant à entrer dans la Manécanterie, elle se faufila entre les travées. Son ombre semblait danser avec les cercles de lumière révélés par la porte qui s’ouvrait régulièrement sur l’extérieur. Elle approchait vers lui, l’atmosphère vibrait de sa chère présence, tout en lui était en éveil. Soudain, elle fut là, tout contre lui et le monde cessa d’être désordre et chaos.
C’est ainsi qu’on les trouva le lendemain matin, lovés l’un contre l’autre, leur fourrure teintée de pourpre. Personne ne sut jamais qui avait assassiné les deux chats du gardien de la Cathédrale Saint Jean.