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En ces journées du Patrimoine à Lyon...

Publié le par Sylviane Sarah Oling

Le cyclope de l'Hotel de Ville de Lyon ( source photo:  spot.web.fr)

Le cyclope de l'Hotel de Ville de Lyon ( source photo: spot.web.fr)

 

Tel un lapin fou semant des mots à la volée, à travers le temps et l'espace, sans Alice, mais dans un "pays des merveilles" espéré, sous la forme d'un illustrateur ou d'un photographe faisant belle moisson de mon imaginaire ... Je livre à la brise virtuelle une nouvelle chronique de ce recueil que j'ai provisoirement nommé "Il ne m'est Lyon que de Vous..."

 

À 9 HEURES PRÉCISES DEVANT LE CYCLOPE DE L’HÔTEL DE VILLE …

De la fenêtre ouverte montaient les cris des enfants qui jouaient sur le quai Saint-Vincent. C’était le moment de la journée qu’elle préférait. Le soleil se levait lentement, illuminant la Saône. Elle s’avança sur la terrasse. Une péniche passa lentement, semblant s’étirer sur l’eau, puis disparut.

Un peu plus bas, sur le quai Saint-Antoine, un orchestre de chambre, insolite en ce lieu, répétait. Elle entendit les premiers accords déchirants de la contrebasse. Tout autour, les promeneurs, peu nombreux encore, en ce flamboyant dimanche de septembre, s’approchaient. La douceur de ce matin finissant d’été éveilla en elle une nostalgie peu habituelle.

C’était le jour, celui qu’il avait choisi pour la rencontrer, celui-là et nul autre, où Lyon s’offrait à tous. Celui où les portes les plus secrètes, les lieux les plus mystérieux, comme ceux du pouvoir et du savoir, de la spiritualité et des coulisses du spectacle se donnaient à voir, puis disparaissaient jusqu’à l’année d’après.

Depuis plusieurs mois, leurs échanges épistolaires devenaient fiévreux. Il avait refusé tout autre lien avec elle que celui de leurs longues lettres, écrites à la plume. Une volonté de romantisme affirmée. Un mystère également. Aucune photo échangée. Aucune description. Elle ne savait rien d’autre de lui que ce qu’il avait accepté de lui livrer. Lui la connaissait. Il avait lu tous ses livres. Un lecteur parmi d’autres. Ce qui aurait pu demeurer. Mais c’était lui qui était le maître du jeu. Et de sa fin annoncée. En acceptant de la rencontrer. En un lieu précis.

Elle marchait vers cette fin-là, cette espérance folle d’un mystère encore plus puissant que celui que son imaginaire avait composé. L’heure du rendez-vous était précise, avait-il écrit, après 9 h, il ne serait plus là. Passant par la Place des Terreaux, elle la contourna pour accéder à l’entrée, saisie comme à chaque fois par la beauté de la façade. Arrivée en avance, elle franchit les grilles pour la première fois, pénétra dans la cour basse, puis en quelques marches se retrouva dans la Cour d’honneur de l’hôtel de ville. Elle chercha le bassin encadré par un portique qu’il lui avait décrit. Et reconnut les quatre statues, Neptune, Amphitrite, Galatée et celle sous laquelle ils devaient se rencontrer, Polyphème le cyclope.

Alors qu’elle portait son regard sur les deux yeux de pierre fermés et ce troisième, au milieu du front qui semblait la narguer, elle sentit une présence derrière elle. « Ne vous retournez que si vous êtes prête à vous confronter à la réalité », lui dit une voix forte. Ce qu’elle fit. Il se tenait là. Grand. Presque un géant. Un panama dissimulait son visage et ses yeux semblaient clos. D’un geste théâtral, il l’ôta lentement, révélant une cicatrice en forme d’étoile juste au milieu du front.

Elle ne cria pas, ne s’enfuit pas. Appris à fermer les yeux pour mieux contempler le monde. Et c’est ainsi que le Cyclope de l’hôtel de ville lui rendit la vue.

Sarah Oling 

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