Une ère nouvelle pour la Pologne?
Il y a quelques jours, j'ai vu sur Canal + Lech Walesa répondre à une interview d’un journaliste qui lui demandait ce qu'il pensait de la disparition des juifs de Pologne. Calmement, avec ce qui me semblait être une réelle conviction, il a parlé de la grande perte culturelle et humaine que constituait "l'absence" des juifs dans son pays, les invitant implicitement à revenir s'installer en Pologne. Et cela m'a ramené à ma mère qui n'avait plus revu sa ville natale, Cracovie, depuis que, petite fille de 8 ans, elle avait été contrainte de fuir à jamais le berceau de sa famille. Aurait-elle répondu à l'invitation de Lech Walesa? Cette Pologne d'aujourd'hui, hier violemment antisémite a-elle oublié les ferments de haine qui la conduisirent à sa presque destruction? Mon penchant naturel à l'optimisme me porterait à espérer que ce message si impliquant de Lech Walesa ne soit pas une formule creuse. Je me souviens de ce "voyage" de onze jours en Pologne, en juillet 2000, où, à la demande du Père Patrick Desbois, ancien porte parole du Cardinal Decourtray auprès de la Communauté juive de Lyon, lui même petit fils de déporté, j'avais accompagné un groupe d'historiens, pour faire mon métier de journaliste, rendre compte, objectivement, de la situation de la Pologne après
Une quarantaine de personnes, de tous horizons, de tous âges, pour la plupart historiens ou étudiants en histoire, participait à ce voyage au coeur de
Tenter d'appréhender, de mettre en paroles ce qu'aucun mot pourtant ne peut rendre l'éradication, parce que nés juifs. Tziganes, ou " hors normes nazies " de millions de personnes, dont trois millions étaient juifs polonais- voilà l'une des problématiques à laquelle nous allions être confrontés. Venir sur ces lieux d'oubli, c'était également redonner présence symbolique à ces hommes ces femmes, ces enfants dont le souffle hante encore chaque parcelle de la terre de Pologne.
Première journée à Varsovie. Varsovie qui ne songe qu'à conquérir sa place dans le monde moderne. Aux côtés de Levana Frenck, nous partons sur les traces de l'ancien ghettos puis nous nous rendons à
Les deux jours suivants à Lublin furent consacrés à l'étude de l'opération Reinhardt et à la visite du camp de Maïdanek situé à Le quatrième jour, nous quittons les sentiers " touristiques " . Très vite, nous perdons nos repères. Hors du temps réel sans radio, sans journaux, la Pologne , pas celle des grandes villes, Varsovie est loin, nous aspire. De jour en jour les villes défilent, les villes près des camps, les camps parfois sous les villes. Où sont passés les habitants juifs de ces maisons de ces fermes ? Parmi ces Polonais que nous croisons certains étaient les voisins des habitants de ce monde englouti . Ont-ils oublié ? Tout un peuple serait-il devenu amnésique ?
A Sobibor, puis à Belzecz, chacun prend enfin la véritable dimension de ce que signifie "lieu d'oubli" Le camp de Belzec où 600 000 personnes furent exterminées, avec la collaboration d'une partie du village, en à peine 9 mois. Le camp de Belzec, dont le monument érigé par les Soviétiques, l'une des seules traces encore visibles. est régulièrement profané. Le camp de Belzec lieu de pique-nique préféré des habitants du village proche. Belzec encore, où marcher sur des ossements humains n'est pas une vue de l'esprit. Cet immense champ et cette forêt furent le théâtre d'un massacre dont le sol vomit aujourd'hui encore les traces. Belzec dont le Dr Prasquier, président du Yad Vashem dit : "Cette sensation de mort, c'est ici que l'on peut l'éprouver, ici que l'effacement des vies s'est suivi de l'effacement des traces. De cette usine de mort que fut le camp de Belzec, il ne reste rien. Nous sommes tous ici pour rendre compte de ce '' rien '' . C 'est ici également que nous pouvons mesurer le poids d'une problématique capitale en Pologne le conflit de mémoire... La souffrance polonaise, c'est celle de ses trois millions de morts polonais non juifs. La souffrance juive est en grande partie occultée dans ce pays. La connaissance des faits historiques de la Shoah peut éviter que sa perpétue ce conflit de mémoire."
Conflit de mémoire ressenti fortement au cours de nos deux jours passés à Auschwitz. Auschwitz. La '' vitrine", est devenue le cœur emblématique de la mémoire de la Shoah , visitée aussi bien par les Polonais, qui retrouvent ici la trace de leurs martyrs, que par des visiteurs du monde entier. Birkenau qui est à peine à L'entretien des lieux de mémoire est au centre d'un débat épineux. Certains Polonais. dont le Directeur du Musée de Sobibor, estiment que c'est à la communauté juive internationale d'en prendre la charge financière, la Pologne , à ses yeux, n'en ayant pas les moyens. Au sein du groupe, d'autres voix s'élèvent. Celle d'abord du Dr Prasquier, estimant presque indécent l'argument du manque d'argent de la Pologne , au regard des biens que tous les Juifs ont abandonné ici, biens qui pourraient servir à entretenir leur mémoire. Celle également de Pierre Jérôme Biscarat, responsable pédagogique au Musée d'Izieu. Il dit : Ce qu'il ressort, au terme de ce voyage d'études et du souvenir, c'est que rien n'est clair, ni tranché dans ce pays. Dire de la Pologne qu'elle n'est peuplée que par des antisémites serait occulter une autre composante de sa populations certes minoritaire, mais active. Ce serait oublier les gens de Lublin, seuls défenseurs de la mémoire juive de leur ville. Et que dire de Térésa et de ses amis de Wlodowa, nos hôtes d'un soir, engagés sur le difficile chemin de la compréhension ? Que dire de Kacha. notre jeune interprète qui découvrit avec violence tout un pan de son histoire occultée et qui revendique désormais sa volonté d'être une passerelle entre une certaine Pologne indéniablement viscéralement antisémite et une autre Pologne encore en devenir ? Cette Pologne en devenir, c'est celle qui vient de nommer un Juste parmi les Nations, ministre des Affaires étrangères. Cet homme. Wladysaw Bartoszwesly fut interné à Auschwitz comme prisonnier politique. après avoir participé à l'insurrection du ghetto de Varsovie en 1 944.
Gageons qu'il entendra la requête d'historiens comme le professeur Marcello Pezzetti, qui parcourent inlassablement le monde pour faire établir la vérité historique de la Shoah et sortir de l'oubli des lieux comme Sobibor, Belzec ou même Birkenau.
Sarah Oling Tribune Juive septembre 2000
Carnet de "Voyage" Pologne entre mémoire et oubli.
Étudier et comprendre, autant que faire se peut, l'opération de destruction systématique des Juifs en Pologne sur les lieux même de leur mort annoncée, tel était l'enjeu du voyage d'études, organisé conjointement, du 2 au 11 juillet 2000 par le Yad Vashem France, le Musée Mémorial d'Izieu et l'association Teshouvah dirigée par le Père Patrick Desbois, par ailleurs Secrétaire du Comité Episcopal pour les Relations avec judaïsme
"C'est à l'Europe de prendre en charge les lieux d'oubli. Il y a plus de 50 ans, l'Europe s'est amputée d'une partie d'elle-même. Si les faits relatifs à cet événement majeur ne sont pas rétablis dans leur ensemble, je ne vois pas comment on peut accéder à une conscience universelle ! L'Europe de demain doit prendre en compte la question de la Shoah."